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Gerhard Richter provocateur : « Je n’ai rien à dire et je le dis »

2012/07/07 - Mostre di: MG Colombo

 

Panorama

6 giugno – 24 settembre

Centre Pompidou

Paris

 

Par Camille Morineau, conservateur au Musée National d’Art Moderne, commissaire de l’exposition
Cette rétrospective célèbre le 80e anniversaire de Gerhard Richter, aujourd’hui reconnu comme l’une des figures majeures de la peinture contemporaine. Un peintre classique dans sa pratique du métier et sa vision de la peinture, et qui ne la défend jamais mieux que dans ses oeuvres, ainsi que dans ses écrits et les rares interviews qu’il accepte de donner. « Je n’ai rien à dire et je le dis » est une phrase de John Cage que Richter a faite sienne.
S’il défend la peinture envers et contre tout – en particulier au-delà de l’image photographique – il le fait avec des médiums plus hétérogènes qu’il n’y paraît. Après les « photos-peintures », réalisées d’après des photographies au début des années 1960, Richter met en place un type d’abstraction à partir du début des années 1970 où coexistent des grilles colorées, une abstraction gestuelle, des monochromes. Dans les années 1980 il réinterprète de manière à la fois érudite et inédite les genres de l’histoire de l’art : portrait, peinture d’histoire, paysage ; tout en explorant un nouveau type de tableaux abstraits aux couleurs acides, où les formes gestuelles et géométriques s’entremêlent. Quelques grandes commandes publiques offrent également à l’artiste d’aborder le format monumental, voire architectural ; enfin depuis les années 2000, il réalise de grandes sculptures en verre qui sont des réponses au Grand Verre de Duchamp. Depuis 50 ans, Richter étonne non seulement par sa faculté à se réinventer, mais encore par sa capacité à transformer, à chacun des tournants de son travail, l’histoire de la peinture.
« Panorama », sa rétrospective au Centre Pompidou, est le titre de la troisième et dernière étape d’un projet itinérant qui a commencé à la Tate Modern de Londres et s’est poursuivi à la Neue National Galerie de Berlin. C’est aussi le titre du catalogue dont la construction, comme celle de l’exposition, résulte d’un travail collectif : les trois commissaires de Londres, Berlin, Paris, ont élaboré une liste d’oeuvres communes, puis chacun a défini en complicité avec l’artiste une adaptation spécifique, à la lumière des lieux et des publics. Des oeuvres ont été supprimées et ajoutées dans une scénographie et un accrochage différents à chacune des étapes. Chaque « Panorama » est unique. Le Centre Pompidou présente un accrochage thématique autour d’une salle centrale évoquant la forme du panorama. Inventé à la fin du 18e siècle, le panorama devient une attraction populaire au 19e. Dans une vaste pièce plongée dans la pénombre est installée une peinture courbe : les visiteurs y accèdent par une plateforme d’où ils se sentent environnés par l’image – le plus souvent un paysage urbain ou une scène de bataille. Les extrémités hautes et basses de la peinture et les sources lumineuses occultées nourrissent l’illusion que ce paysage est vraiment « là ». Cette structure courbe, organisée autour d’un promontoire central, inspire le parti pris architectural de l’exposition du Centre Pompidou : une salle triangulaire s’ouvre sur neuf salles et autant de thèmes présentés par ordre chronologique. Géographique, ce « promontoire » est aussi historique : la présence dans la salle centrale de monochromes gris et de panneaux de verre rappelle la première exposition de Richter au Centre Pompidou, l’année de son inauguration en 1977. Enfin, cette salle, métaphorique du « Panorama » parisien, évoque la représentation schématique de l’angle de vision de l’oeil. Les oeuvres rassemblées interrogent en effet toutes radicalement, avec constance et acuité depuis les années 1960, le processus de la vision. Le panorama apparaît aussi comme l’ancêtre du cinéma qui le détrôna au début du 20e siècle. Avant que les images ne puissent défiler sur l’écran, le regard des visiteurs file sur le tableau panoramique déployé. Avec l’évolution des appareils au 20e siècle, les photographies se mettent au format du tableau, avec des prises de vues effectuées à l’aide d’objectifs grandangulaire. L’apparition, puis la généralisation de la pellicule couleur font de la photographie et du cinéma deux médiums majeurs de la culture visuelle. La peinture ne peut les ignorer ; elle est contrainte de s’y mesurer.


Richter est l’un des artistes qui a traité avec le plus de pertinence et d’acharnement cette question posée à la peinture par la multiplication de l’image, qu’elle soit arrêtée (la photographie) ou en mouvement (le cinéma). L’artiste est d’abord fasciné par la capacité photographique de reproduire les oeuvres des maîtres anciens. Étudiant en Allemagne de l’Est, c’est ainsi qu’il les découvre, en petit format noir et blanc. Une fois « passé à l’Ouest », tandis qu’il décide de reproduire des photos en peinture, au début des années 1960, Richter ne fait qu’inverser ce processus de reproduction d’oeuvres. Il s’agit alors de photographies de magazines, de journaux, d’albums de famille, puis prises par lui. Les sujets sont pop (objets usuels, familiers) ou sociologiques (ses proches, des sites touristiques, des publicités). Au début des années 1970, Richter franchit une étape en peignant des photographies de détails de sa propre palette, puis de ses tableaux abstraits préalablement photographiés. À la fin des années 1980, il peint directement sur ses photographies : c’est la série des Photographies Repeintes. Un peu plus tard, il n’hésite pas à photographier ses oeuvres les plus emblématiques, à faire de ces reproductions des éditions. En 2002, Richter fait une oeuvre d’une photo trouvée, simplement agrandie : celle d’une ville bombardée (Bridge 14 FEB 45).
Enfin, pendant la préparation de « Panorama » s’installe un nouveau cycle d’oeuvres qui interroge différemment ce paradigme du 21e siècle, peinture contre photographie. Reconnaissant le pouvoir reproductif et « transformatif » de l’image digitale, il décompose par ordinateur un détail de l’un de ses tableaux abstraits. La série Strip en découle : des impressions numériques sur papier contrecollées sur une plaque d’aluminium et protégées par un plexiglas, dont le « Panorama » au Centre Pompidou montre l’un des premiers exemples au format spectaculaire.
Extraits d’un entretien de l’artiste avec Nicholas Serota, Directeur, Tate Modern, Londres, au printemps 2011. Traduit de l’anglais par Christian-Martin Diebold.
NICHOLAS SEROTA – En plus de cinquante ans de carrière, vous avez abordé la sculpture, le dessin, la photographie, la peinture sur photographies, mais vous êtes toujours resté fidèle à la peinture. […] Une telle fidélité est assez inhabituelle. GERHARD RICHTER – Beaucoup de gens estiment que d’autres techniques sont plus séduisantes : mettez un écran dans un musée, et plus personne ne regarde les tableaux. Mais ma profession, c’est la peinture. C’est ce qui m’a depuis toujours le plus intéressé. J’ai maintenant atteint un certain âge et je viens d’une tradition différente. De toute façon, je ne sais rien faire d’autre. Je reste cependant persuadé que la peinture fait partie des aptitudes humaines les plus fondamentales, comme la danse ou le chant, qui ont un sens, qui demeurent en nous, comme quelque chose d’humain. […]
NS – Vous vous qualifiez parfois de peintre classique. GR – La signification précise de ce mot m’a toujours échappé, mais même si je l’utilise improprement, le « classique » a toujours été mon idéal, aussi longtemps que je puisse m’en souvenir. Il m’en est resté quelque chose qui m’a toujours accompagné, jusqu’à aujourd’hui. J’ai rencontré des difficultés, parce que, comparé à mon idéal, je ne m’en suis jamais ne serait-ce qu’approché. Certaines de mes toiles reflètent précisément ce problème. La série Titien, par exemple : je voulais tout simplement posséder ce ravissant tableau, c’est-à-dire le peindre pour moi-même à partir d’une carte postale. Mais je n’y suis pas parvenu, c’est pourquoi nous avons aujourd’hui ces cinq tableaux qui témoignent de mon échec. […] Et s’ils sont réussis, c’est seulement parce que j’ai formulé le plus clairement possible les données du problème et que j’ai trouvé la forme qui lui était appropriée. […]
NS – […] Comment commencez-vous une peinture ? GR – Parfois j’ai de la chance, il me vient l’idée que « ça pourrait être une peinture ».
NS – En regardant une image ? GR – Oui. Pour ce qui est des peintures réalistes, soit je vois cette image dans la réalité et je la prends en photo, soit une photo qui se trouve déjà dans ma collection me saute aux yeux parmi toutes les autres. Mais il peut parfois s’écouler des années avant que je ne la peigne. Dans le cas des abstractions, j’ai une vague idée de peintures qui ne demandent qu’à être peintes. Voilà comment ça commence, mais le résultat est presque toujours totalement différent de ce que j’avais imaginé. […]
NS – La peinture commence donc avec ce métier très ancien qui consiste à poser de la couleur sur une toile avec un pinceau… GR – Commencer à partir de rien, comme cela, c’est une sorte de rituel qui se déroule selon un ordre qui lui est propre, le mélange des couleurs, la recherche des teintes appropriées, l’odeur, toutes ces choses qui nourrissent l’illusion que cela aboutira à un tableau merveilleux. […]
NS – Vous abandonnez souvent vos peintures abstraites ? GR – Oui, je les remanie bien plus souvent que les figuratives, car elles se révèlent souvent très différentes de ce que j’avais prévu.
NS – Vous commencez donc avec une idée, celle d’une sensation que vous souhaitez créer dans une peinture particulière. Comment commencez-vous vos peintures abstraites ? GR – Le début est assez facile, puisqu’à ce stade-là, je dispose d’une assez grande liberté pour traiter les choses – les couleurs, les formes. Il en émerge une peinture qui me paraîtra plutôt bonne pendant quelque temps, si lumineuse, si colorée et nouvelle. Mais cette impression ne dure qu’un jour, tout au plus, puis la peinture me paraît progressivement médiocre, fausse. C’est alors que commence le véritable travail : remanier, supprimer, recommencer, etc., jusqu’à ce qu’elle soit terminée.
NS – Votre première décision concerne donc le choix du format du tableau ? GR – Oui. Un format qui me paraisse conforme à la vague notion que j’ai du tableau, et qui habituellement convient à toute une série de tableaux. […]
NS – Vous avez dit un jour, me semble-t-il, que l’élégance, c’est pour la science et pour les mathématiques, mais pas pour l’art. Pourquoi l’élégance est-elle négative en art ? GR – Les mathématiciens parlent de solutions élégantes. J’aime cette idée. Mais le mot est habituellement employé dans les milieux du design et de la mode, l’élégance d’un meuble ou d’un vêtement. À vrai dire, cela ne me gêne pas que l’on décrive des peintures comme « élégantes ». Après tout, les panneaux gris que j’ai réalisés ont un aspect en effet très élégant.
NS – Quel est donc le but de l’art ? GR – Il permet de survivre dans ce monde. Un moyen parmi de nombreux autres… comme le pain, comme l’amour.
NS – Et que vous donne-t-il ? GR – [rires] Certainement quelque chose à quoi l’on peut se raccrocher… Il a la mesure de tout ce qui est insondable, insensé, absurde, de l’incessante cruauté
de notre monde. L’art nous montre comment voir ce qui est constructif et bon, et à y prendre une part active.
NS – Il structure donc le monde ? GR – Oui, il apporte le réconfort, l’espoir, de sorte qu’y participer n’est pas vide de sens. […]
NS – Y a-t-il des sujets qu’il vous est impossible de peindre ? GR – Je ne pense pas qu’il existe de sujet qui ne puisse être peint, mais il y en a beaucoup qu’il m’est personnellement impossible de peindre.
NS – Dans le cas de Septembre, aviez-vous songé en 2001 à la possibilité de peindre un tableau inspiré du sujet, ou l’idée est-elle venue bien plus tard ? GR – Quatre ans plus tard, à vrai dire. Bien que les images publiées dans les journaux m’aient bien entendu profondément choqué, je ne pensais pas qu’il soit possible de peindre cet instant, et certainement pas de la façon qu’ont choisi certains, avec le point de vue insensé que cet acte atroce était une sorte de happening ahurissant, pour le célébrer comme une méga oeuvre d’art.
NS – Vous vous êtes donc efforcé de trouver un moyen de traiter le sujet sans le rendre spectaculaire ? GR – Absolument, en me concentrant sur son incompréhensible cruauté et son caractère atrocement fascinant…
NS – Lorsque vous peignez des tableaux réalistes, vous faut-il être très précis ? GR – Oui, dans le sens le plus large du terme.
NS – Que cherchez-vous à obtenir avec ces images réalistes ? GR – Je m’efforce de peindre une image de ce que j’ai vu et de ce qui m’a ému, le mieux possible. C’est tout. […]
NS – Avec le pinceau, vous conservez la maîtrise. Le pinceau est chargé de peinture et vous posez la touche. Avec votre expérience, vous savez très exactement ce qui va se produire. Mais avec le racloir, vous perdez la maîtrise. GR – Pas toute la maîtrise, une partie seulement. Cela dépend de l’angle, de la pression et de la peinture particulière que j’utilise.
NS – Vous aimez donc la possibilité de conserver la maîtrise, mais aussi que certaines choses ne puissent pas être contrôlées. GR – Oui, c’est ça notre travail. Le hasard est donné, imprévisible, chaotique. C’est la base. Nous essayons alors de le maîtriser par notre intervention, en lui donnant une forme, en le mettant à notre service.
NS – Vous avez cité un jour une phrase de John Cage, en précisant que vous l’approuviez : « Je n’ai rien à dire et je le dis ». Qu’est-ce qui dans l’esprit de Cage vous est proche ? GR – Ce genre d’état d’esprit est très proche de la réticence que j’éprouve personnellement à parler. C’est aussi, me semble-t-il, une critique très pertinente de toutes ces déclarations pompeuses qu’on entend à droite et à gauche. Mais avant tout, Cage est à mon avis un très grand musicien. […] Même si on croit a priori entendre un non-sens provocateur, des tintements et des grincements aléatoires. Mais alors on comprend progressivement à quel point cette musique est merveilleusement intelligente et sensible, à quel point elle est soigneusement construite. Extraordinaire !
NS – Je souhaiterais clore cet entretien en vous demandant pourquoi vous avez si souvent peint votre famille ? GR – Parce que ce sont les personnes que je connais le mieux. [rires]
NS – Mais c’est assez inhabituel. Rares sont les peintres à avoir peint les membres de leur famille. GR – Peut-être que je me prends tout simplement trop au sérieux. [rires] Cela s’explique très certainement par l’histoire de ma propre vie. http://www.centrepompidou.fr/Pompidou/Manifs.nsf/Actualites/685A3BA543D440FFC125795F0049FA85?OpenDocument&sessionM=2.2.1&L=1

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